lundi 11 novembre 2013

Cet état paisible :




Aussi n’est-il plus besoin de ces procédés un peu rudes, étape que nous avons maintenant traversée : t’opposer à toi même, t’irriter contre toi-même, te faire violence ; ce qu’il te faut, c’est ce qui vient en dernier lieu : avoir confiance en toi, croire que tu es dans la bonne voie sans te laisser détourner par les fausses pistes de tous ceux qui se sont fourvoyés de tous les côtés, et qui parfois s’égarent dans les parages immédiats de la route. Ce que tu cherches, c’est une grande chose, une chose souveraine, toute proche de la divinité, c’est d’être inébranlable ; c’est cette assiette stable de l’âme, appelée en grec euthymia, sujet d’un remarquable ouvrage de Démocrite, et que j’appelle tranquillité. (...) Nous allons donc chercher comment l’âme peut avoir une démarche égale et avancer d’un cours heureux, comment elle peut s’accorder sa propre estime et envisager avec contentement tout ce qui lui appartient, comment elle peut éprouver une joie ininterrompue et persister dans cet état paisible, sans s’exalter ni se déprimer : ce sera là la tranquillité. Cherchons en général comment on peut y parvenir : tu prendras, du remède commun, la dose que tu voudras. Il faut parfois mettre en lumière un défaut dans son ensemble : chacun y reconnaîtra la part qui est la sienne ; tu comprendras en même temps combien le dégoût de soi est moins gênant pour toi que pour ceux qui, s’astreignant à exprimer de beaux sentiments et donnant à leurs efforts une étiquette pompeuse, se contraignent à feindre par point d’honneur plus que par volonté.
Sénèque, De la tranquilité de l'âme, 47-62