dimanche 2 juin 2013

Un éclat particulier :

 

Les accidents mêmes qui s’ajoutent aux productions naturelles ont quelque chose de gracieux et de séduisant.
Le pain, par exemple, en cuisant par endroits se fendille et ces fentes ainsi formées et qui se produisent en quelque façon à l’encontre de l’art du boulanger, ont un certain agrément et excitent particulièrement l’appétit. De même, les figues, lorsqu’elles sont tout à fait mûres, s’entrouvrent ; et dans les olives qui tombent des arbres, le fruit qui va pourrir prend un éclat particulier.
Et les épis qui penchent vers la terre, la peau du front du lion, l’écume qui s’échappe de la gueule des sangliers, et beaucoup d’autres choses, si on les envisage isolément, sont loin d’être belles, et pourtant, par le fait qu’elles accompagnent les œuvres de la nature, elles contribuent à les embellir et deviennent attrayantes.
Aussi, un homme qui aurait le sentiment et l’intelligence profonde de ce qui se passe dans le Tout, ne trouverait pour ainsi dire presque rien, même en ce qui arrive par voie de conséquence, qui ne comporte un certain charme particulier. Cet homme ne prendra pas moins de plaisir à voir dans leur réalité les gueules béantes des fauves qu'à considérer toutes les imitations qu'en présentent les peintres et les sculpteurs. Même chez une vieille femme et chez un vieillard, il pourra, avec ses yeux de philosophe, apercevoir une certaine vigueur, une beauté tempestive, tout comme aussi, chez les enfants, le charme attirant de l'amour. De pareilles joies fréquemment se rencontrent, mais elles n'entraînent pas l'assentiment de tous, si ce n'est de celui qui s'est véritablement familiarisé avec la nature et ses productions.
Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même, Livre III, II