lundi 11 mars 2013

Au prix de séparer :


Andrej Rublëv - Détail de l’icône de la Sainte Trinité -  de à

Certains souhaitent que l'art inscrive sous une forme indélébile la mémoire des horreurs du siècle. D'autres veulent qu'il aide les hommes d'aujourd'hui à se comprendre dans la diversité de leurs cultures. D'autres encore nous expliquent que l'art aujourd'hui produit - ou doit produire - non plus des œuvres pour des amateurs mais des nouvelles formes de relations sociales pour tous. Mais l'art ne travaille pas pour rendre les contemporains responsables à l'égard du passé ou pour construire des rapports meilleurs entre les différentes communautés. Il est un exercice de cette responsabilité ou de cette construction. Il l'est dans la mesure où il prend dans son égalité propre les diverses sortes d'arts qui produisent des objets et des images, de la résistance et de la mémoire. Il ne se dissout pas en relations sociales. Il construit des formes effectives de communauté : des communautés entre objets et images, entre images et voix, entre visages et paroles, qui tissent des rapports entre des passés et un présent, entre des espaces lointains et un lieu d'exposition. Ces communautés n'assemblent qu'au prix de séparer, ne rapprochent qu'au prix de créer de la distance. Mais séparer, créer de la distance, c'est aussi mettre les mots, les images et les choses dans une communauté plus large des actes de pensée et de création, de parole et d'écoute qui s'appellent et se répondent. Ce n'est pas développer des bons sentiments chez les spectateurs, c'est les convier à entrer dans le processus continué de création de ces communautés sensibles. Ce n'est pas proclamer que tous sont artistes. C'est dire que toujours l'art vit de l'art qu'il transforme et de celui qu'il suscite à son tour. 
Jacques Rancière,
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Andrej Rublëv - Icône de l'Apôtre Paul