samedi 23 février 2013

L'homme est ce qu'il mange :

Man Ray - Domaine de Sade II - 1976                                                                           : + :

Des défilés bordés de rayonnage se précipitent sur l'horizon lointain. La grappe humaine se divise, déjà les derniers vœux de la clientèle glissent comme les bretelles d'un sous-vêtement imbibé de sueur, d'épaules matinalement fatiguées. Sœurs, mères, filles. Et dans un éternel recommencement Sa Sainteté, le couple directorial, reprend le chemin du pénitencier, de son sexe, où il pourra toujours essayer d’appeler la délivrance de ses pleurs : par les trous et les trappes ne se déversera dans sa cellule et sur ses mains tendues qu'une tiède, une horrible nourriture. Il en va du sexe comme de la nature : on ne saurait en jouir sans la floraison de produits et de productions qui l'accompagne. Nous l'enguirlandons gentiment des fleurons de l'industrie textile et cosmétique. Oui, et peut-être le sexe est-il la nature même de l'être humain, j'entends par là que de par sa nature ce dernier court après le sexe jusqu'à ce qu'en gros et toutes proportions gardées il acquière la même importance que lui.


Man Ray - Bronislava Nijinska - 1922
Une comparaison vous éclairera. L'homme est ce qu'il mange. Jusqu'à ce que le travail le réduise à n'être plus qu'un tas de détritus, un bonhomme de neige fondu. Que déjà meurtri par sa naissance il ne lui reste plus le moindre trou par où se faufiler. Oui, les hommes, d'ici à ce qu'ils soient enfin entendus et apprennent la vérité sur leur propre compte...

Man Ray - 1947 - Mr and Mrs Woodman

En attendant écoutez-moi : ces êtres indignes ne sont importants et accueillant qu'un seul et unique jour, celui de leur noces. Un an n'est pas passé que les voilà saisis à cause du mobilier et des voitures. On effectue alors une rafle familiale quand ils ne peuvent plus régler les mensualités. Ils en sont encore à payés les lits dans lesquels ils se vautrent ! Sourient à des visages étrangers qu'ils mènent à leurs crèches. Ils voudraient tant que flottent quelques brins de paille au gré de leur halène, la nuit, avant de reprendre la route. Mais nous, étrangers, exilés, chaque jour nous devons nous lever à l'aube, avec pour unique perspective notre petite route tout au long de laquelle cependant d'autres désirent et exploitent nos gentils partenaires sexuels. Et l'on voudrait que les femmes brûlent d'un feu intérieur. Mais elles ne sont que foyers de braises éteintes sur lesquels l'ombre vespérale tombe dès les premières heures du jour lorsque, quittant le gouffre de leur lits sous les combles d'où elles surveillent l'enfant qui braille, elles se trainent droit dans le ventre de l'usine. Rentrez donc chez vous si vous en avez assez ! Vous n'inspirez pas l'envie, et il y a longtemps que votre beauté ne désarme plus personne, au contraire, ils vous quitte d'un pas léger et fait démarrer sa voiture ailleurs, là où la rosée scintille sous les premiers rayons, à mille lieues de vos ternes cheveux.
Elfriede Jelinek, Lust, 1989,
traduit de l'allemand par Yasmin Hoffmann et Maryvonne Litaize


Man ray - 1920 - Coat-Stand