jeudi 25 octobre 2012

Au point de devenir :


Michael Sowa - +,





Papa

Les choses ont toujours été simples pour moi :
Affalé dans son large fauteuil cassé
Recouvert de cendres,
Papa change de chaîne, reprend
Un verre de whisky, pur, et demande
Ce qu’on peut faire de moi, un petit homme
Qui n’arrive pas à considérer
Les heurs et les malheurs du monde.
Je regarde son visage fixement, d’un regard
Qui fait dévier ses sourcils ;
J’en suis sûr, il n’a pas confiance
En ses yeux, noirs et humides, qui
Partent dans toutes les directions,
Et surtout ses tics, lents et malvenus,
Ne cessent pas.
J’écoute, j’acquiesce
Écoute, avec sincérité, jusqu’à ce que je m’accroche à son T-shirt
Beige pâle, hurlant,
Hurlant dans ses oreilles aux lourds lobes, mais il continue à raconter
Sa blague, alors je demande pourquoi
Il est si malheureux : il répond…
Mais ça ne m’intéresse plus parce qu’
Il a pris trop de temps et de dessous
Mon fauteuil, je tire le
Miroir que j’avais mis de côté ; je ris
D’un rire fort, le sang frémissant depuis son visage
Vers le mien, au point de devenir
Une tâche dans mon cerveau, quelque chose
Qu’on pourrait écraser comme un
Pépin de pastèque entre
Deux doigts.
Papa se reprend un verre, pur,
Remarque qu’il a sur son short la même tache ambrée
que moi j’ai sur le mien et
Me fait sentir son odeur venant
De moi ; il change de chaîne, récite un vieux poème
Qu’il avait écrit avant la mort de sa mère,
Se lève, pousse un cri, et demande
Un câlin, tandis que je rétrécis, mes
Bras atteignent à peine
Sa nuque, épaisse et grasse, et son dos imposant ; parce que
Je vois mon visage, dans les lunettes
Cerclées de noir de Papa
Et je sais qu’il rit aussi.

Barack Obama, publié en 1982, traductions inédites Nicolas Grenier et David Rochefort










"Pop"
Sitting in his seat, a seat broad and broken
In,sprinkled with ashes,
Pop switches channels, takes another
Shot of Seagrams, neat, and asks
What to do with me, a green young man
Who fails to consider the
Flim and flam of the world, since
Things have been easy for me;
I stare hard at his face, a stare
That deflects off his brow;
I’m sure he’s unaware of his
Dark, watery eyes, that
Glance in different directions,
And his slow, unwelcome twitches,
Fail to pass.
I listen, nod,
Listen, open, till I cling to his pale,
Beige T-shirt, yelling,
Yelling in his ears, that hang
With heavy lobes, but he’s still telling
His joke, so I ask why
He’s so unhappy, to which he replies...
But I don’t care anymore, cause
He took too damn long, and from
Under my seat, I pull out the
Mirror I’ve been saving; I’m laughing,
Laughing loud, the blood rushing from his face
To mine, as he grows small,
A spot in my brain, something
That may be squeezed out, like a
Watermelon seed between
Two fingers.
Pop takes another shot, neat,
Points out the same amber
Stain on his shorts that I’ve got on mine, and
Makes me smell his smell, coming
From me; he switches channels, recites an old poem
He wrote before his mother died,
Stands, shouts, and asks
For a hug, as I shink, my
Arms barely reaching around
His thick, oily neck, and his broad back; ‘cause
I see my face, framed within
Pop’s black-framed glasses
And know he’s laughing too.
Barack Obama