jeudi 13 septembre 2012

Eternellement humain :

Georges Rouault  christ dans la banlieue - +.



Le gardeur de troupeaux


(...)


Un midi à la fin du printemps
Je fis un rêve comme une photographie.
Je vis Jésus Christ descendre sur terre.

Il arriva par le versant d'une colline
Redevenu enfant,
Il courait et il se roulait dans l'herbe
Il arrachait les fleurs et les jetait
Il riait pour qu'on l'entende au loin

Il avait fui le ciel.
Il était nôtre, tant ! qu'il ne pouvait faire semblant
D'être la deuxième personne de la Trinité.
Au ciel tout était faux, tout était en désaccord
Avec les fleurs, les arbres et les pierres.
Au ciel il lui fallait toujours être sérieux
Et de temps à autre redevenir homme
Et monter sur la croix, et être toujours en train de mourir
Avec une couronne tout entourée d'épines
Et les pieds percés de clous,
Avec même un chiffon autour de la ceinture
Comme les noirs sur les illustrations.
On ne le laissait même pas avoir un père et une mère
Comme les autres enfants.
Son père c'était deux personnes -
Un vieux appelé Joseph, qui était charpentier,
Et qui n'était pas son père;
Et son autre père était une colombe stupide
L'unique colombe laide au monde
Parce qu'elle n'appartenait ni au monde ni n'était colombe.
Et sa mère n'avait pas aimé avant de l'avoir.
Elle n'était pas femme : c'était une valise
Dans laquelle il était venu du ciel.
Et on voulait que lui, qui n'était né que de sa mère,
Et n'avait jamais eu de père à aimer et respecter,
Prêchât la bonté et la justice !

Un jour que Dieu était en train de dormir
Et que le Saint Esprit était en train de voler,
Il s'approcha de la boîte à miracles et en vola trois.
Avec le premier il fit que personne ne sût qu'il avait fui.
Avec le deuxième il se créa éternellement humain et enfant.
Avec le troisième il créa un Christ éternellement sur la croix
Et le laissa cloué sur la croix qui est au ciel
Et sert de modèle aux autres.
Ensuite il s'est enfui vers le Soleil
Et il est descendu par le premier rayon qu'il attrapa.
Aujourd'hui il vit dans mon village avec moi.
C'est un bel enfant joyeux et spontané.
Il essuie son nez à son bras droit,
Il saute sur les flaques d'eau,
Cueille les fleurs, il les aime et il les oublie.
Il jette des pierres aux ânes,
Il vole les fruits dans les vergers
Il s'enfuit devant les chiens en criant.
Et parce qu'il sait qu'elles n'aiment pas ça,
Et que tout le monde trouve ça amusant,
Il court après les filles
Qui vont en bandes par les chemins
Avec des pots de terre sur la tête
Et il fait voler leurs jupes.

A moi il m'a tout appris.
Il m'a appris à regarder les choses.
Il me signale toutes les choses qu'il y a dans les fleurs.
Il me montre comme les pierres sont drôles
Quand on les tient dans la main
Et qu'on les regarde doucement.

(...)
Fernando Pessoa = Alberto Caeiro, Le gardeur de troupeaux, traduction Luciamel, +.








 Georges Rouaul - Passion