lundi 20 août 2012

La contestation de l'existence :

Punch - John Wayne - Phil Stern


Je viens de dire que la réalité d'un ensemble observable qui serait désigné par le terme " vie quotidienne " risque de demeurer hypothétique pour beaucoup de gens. En effet, depuis que ce groupe de recherche s'est constitué, le trait le plus frappant n'est évidemment pas qu'il n'ait encore rien trouvé, c'est que la contestation de l'existence même de la vie quotidienne s'y soit fait entendre dès le premier moment ; et n'ait cessé de s'y renforcer de séance en séance. La majorité des interventions que l'on a pu écouter jusqu'ici dans cette discussion émanait de personnes qui ne sont aucunement convaincues que la vie quotidienne existe, car elles ne l'ont rencontrés nulle part. Un groupe de recherche sur la vie quotidienne, animé de cet esprit, est en tous points comparable à un groupe parti à la recherche du Yéti, et dont l'enquête pourrait aussi bien aboutir à la conclusion qu'il s'agissait d'une plaisanterie folklorique.

Youri Gagarine rencontre Fidel castro
(...)
La pauvreté extrême de l'organisation consciente, de la créativité des gens, dans la vie quotidienne, traduit la nécessité fondamentale de l'inconscience  et de la mystification dans une société exploiteuse, dans une société de l'aliénation.

Robert McGinnis
(...)  
Je crois que l'on peut aller jusqu'à qualifier ce niveau de la vie  quotidienne de secteur colonisé.

Woman with seven turtles - Atrthur Tress - 1975

 
(...) 
Il faut donc croire que la censure que les gens exercent sur la question de leur propre vie quotidienne s'explique par la conscience de son insoutenable misère, en même temps que par la sensation, peut-être inavouée mais inévitablement éprouvée un jour ou l'autre, que toutes les vraies possibilités, tous les désirs qui ont été empêchés par le fonctionnement de la vie sociale, résidaient là, et nullement dans des activités ou distractions spécialisées. C'est-à-dire que la connaissance de la richesse profonde, de l'énergie abandonnée dans la vie quotidienne, est inséparable de la connaissance de la misère de l'organisation dominante de cette vie : seule l'existence perceptible de cette richesse inexploitée conduit à définir par contraste la vie quotidienne comme misère et comme prison ; puis, d'un même mouvement, à nier le problème.

Anton Nieuwenhuys - Aquarelle -
  1. Le réalisme, c'est la négation de la réalité 
  2. qui nie le bonheur sur terre nie l'art 
  3. pas de bon tableau sans gros plaisir 
  4. la civilisation admet le beau pour excuser le laid 
  5. le meilleur tableau est celui que la raison ne peut admettre 
  6. l'imagination est le moyen pour connaître la réalité.


(...) 
De même qu'autrefois la bourgeoisie, dans sa phase ascendante, a dû mener une liquidation impitoyable de tout ce qui surpassait la vie terrestre (le ciel, l'éternité) ; de même le prolétariat révolutionnaire - qui ne peut jamais, sans cesser d'exister comme tel, se reconnaître un passé ou des modèles - devra renoncer à tout ce qui surpasse la vie quotidienne. Ou plutôt prétend la surpasser : le spectacle, le geste ou le mot " historique", la " grandeur " des dirigeants, le mystère des spécialisations, l' " immortalité" de l'art et son importance extérieure à la vie. Ce qui revient à dire : renoncer à tous les sous-produits de l'éternité qui ont survécu comme armes du monde des dirigeants.

JUEGO DE NIÑAS - Sharon Toribio - ici.
(...)
La transformation révolutionnaire de la vie quotidienne, qui n'est pas réservée à un vague avenir mais placée immédiatement devant nous par le développement du capitalisme et ses insupportables exigences, l'autre terme de l'alternative étant le renforcement de l'esclavage moderne ; cette transformation marquera la fin de toute expression artistique unilatérale et stockée sous forme de marchandises en même temps que la fin de toute politique spécialisée.


PERSPECTIVES DE MODIFICATIONS CONSCIENTES DANS LA VIE QUOTIDIENNE
Revue "internationale situationniste", n°6, Août 1961, pages 20 à 27.
Cet exposé a été fait, par un magnétophone, le 17 mai 1961 du Groupe de Recherche sur la vie quotidienne, réuni par H. Lefebvre dans le Centre d'études sociologiques du C.N.R.S
ici, p. 11.