samedi 18 août 2012

Il faut se débrouiller avec ça :





Je crois qu’on n’arrive à bien parler que quand on a renoncé à la vie pendant un certain temps. C’est presque le prix. Parler c’est presque une résurrection par rapport à la vie, en ce sens que quand on parle c’est une autre vie que quand on ne parle pas. Pour vivre en parlant, il faut avoir passé par la mort de la vie sans parler.
C’est le mouvement de la vie qui est qu’on est dans la vie quotidienne, et puis on s’en élève vers une vie supérieure, la vie avec la pensée. Mais cette vie avec la pensée suppose qu’on a tué la vie trop quotidienne. Il a fallu qu’on introduise le corps. Leibniz a introduit les vérités contingentes à côté des vérités nécessaires. C’est la vie quotidienne. Voilà ce qui s’est développé dans la philosophie allemande : on pense dans la vie, avec les servitudes de la vie, les erreurs de la vie, et puis il faut se débrouiller avec ça.
Quand vous avez vingt ans, vous ne savez pas ce que vous aimez. Vous savez des bribes. Vous attrapez, par exemple, votre expérience, vous dites : j’aime ceci. C’est souvent mélangé. Mais pour arriver à vous constituer entièrement avec simplement ce que vous aimez, il faut la maturité. C’est-à-dire, il faut la recherche. C’est ça la vérité de la vie. C’est pourquoi l’amour est une solution, mais à la condition qu’il soit vrai.
Jean-Luc GODARD, Vivre sa vie, 1962.