dimanche 8 juillet 2012

Exposé à se tromper :

 String vibration - Copyright © Andrew Davidhazy - ici.




                                                                                                                                                                    
Lorsqu’arriva l’affreux accident qu’éprouva la poudrerie établie dans la plaine de Grenelle, prés Paris (le 14 fructidor an 2), je distinguai très-bien la commotion qui ébranloit tout, et qui causa tant de dommages dans les matières fragiles, du bruit ou craquement remarquable qui lui succéda, et qui parvint à mon oreille à travers l’air commun. Je m’aperçus clairement que le fluide qui causa la commotion que je ressentis dans le lieu où je me trouvois, arrivoit à moi à travers la masse du sol, me pénétroit, et occasionnoit en moi une sensation sourde et particulière très-distincte de celle que le bruit qui se progageoit à travers l’air, vint opérer sur mon ouïe. Je suis convaincu que l’air commun étoit incapable de produire de semblables effets ; car quelles que soient les ondulations ou les vibrations qu’on pourroit supposer s’être alors formées dans sa masse, elles ne pourroient s’être propagées à travers le sol à la distance d’environ cinq kilomètres (plus d’une lieue), où je me trouvois, avec la célérité et la force que je remarquai dans cette circonstance. J’eus donc occasion de me convaincre que la commotion que j’éprouvai à cette grande distance, étoit due singuliérement à l’agitation violente d’un fluide subtil et élastique qui avoit la faculté de traverser la masse du sol sans résistance, ou plutôt qui, s’y trouvant répandu, y propageoit les ébranlemens violens qui venoient de lui être communiqués.
(...)
Enfin [je me crois très-fondé à conclure] que tant qu’on ne sera pas assuré de tenir un compte exact de tout ce qui se passe et de tout ce qui agit dans un phénomène que l’on observe, ou dans un fait que l’on examine, on sera nécessairement exposé à se tromper dans l’explication des causes auxquelles on l’attribuera.

Journal de physique, de chimie et d'histoire naturelle.
Mémoire sur la matière du son par Lamarck
Lu à l’Institut national le 16 brumaire an VIII, et le 26 du même mois.