mercredi 13 juin 2012

Une pensée tout à fait extravagante :



Le ciel bleu se déployait au-dessus des toits des maisons et des nuages passaient très haut comme une armada de voiliers. Au cours de l'enterrement, tandis que le prêtre dans sa lourde chasuble brodée d'argent marmottait des formules incantatoires au-dessus du mort couché dans la fosse, il se pourrait que Konrad ait levé un moment les yeux, que le spectacle des nuages lui ait fait l'effet, comme jamais auparavant, d'une flottille aux voiles gonflées par le vent et qu'il lui soit venu alors à l'esprit une pensée tout à fait extravagante pour un fils de hobereau polonais, à savoir de devenir un jour capitaine au long cours ;
(...)
Ils sont à présent libres, libres comme l'air qui les environne et dans lequel ils vont se dissiper. Peu à peu, raconte Marlow, des yeux brillants s'allument dans la pénombre et se fixent sur moi, comme surgis de l'au-delà. Je me penche et je distingue un visage à coté de ma main. Lentement, les paupières se soulèvent. Quelque part, loin derrière le regard vide, une lueur flamboie et s'éteint aussitôt après. Et tandis qu'un homme à peine sorti de l'enfance exhale son dernier souffle, ceux qui ne sont pas encore au bout du rouleau, franchissent marécages, forêts, plateaux brûlés par le soleil, portant de lourds sacs de provisions, des caisses d'outils, d'explosifs, de biens d'équipement de toutes sortes et de pièces détachées de bateaux démontés, ou alors ils travaillent près du mont Palaballa et du fleuve M'pozo, à la construction de la voie ferrée qui reliera Matadi au cours supérieur du Congo.
W.G. Sebald, Les anneaux de Saturne