dimanche 22 avril 2012

Une trop mince valeur :


First contact


"...les habitants des deux sexes de cette île, comme ceux des autres îles que j’ai visitées ou dont j’ai entendu parler, sont toujours nus et tels qu’ils sont venus au monde. Quelques femmes cependant couvrent leur nudité d’une feuille ou de quelque feuillage, ou d’un voile de coton qu’elles ont préparé pour cet usage. Tous manquent de fer comme’ je l’ai dit ; ils manquent aussi d’armes ; elles leur sont inconnues pour ainsi dire ; et d’ailleurs ils ne sont point aptes à en faire usage, non par la difformité de leur corps, car ils sont bien faits, mais parce qu’ils sont timides et craintifs. Au lieu d’armes, ils portent des roseaux durcis au soleil, et aux racines desquels ils adaptent une espèce de lame de bois sec, terminée en pointe. Ils n’osent même s’en servir, car il arriva souvent que députant deux ou trois hommes vers quelques-unes de leurs bourgades afin de conférer avec eux, une foule d’Indiens sortaient, et dès qu’ils voyaient que les nôtres s’approchaient d’eux, ils prenaient promptement la fuite, au point que les pères abandonnaient leurs enfants, et réciproquement, quoiqu’on ne leur fît aucun mal. Cependant ceux que j’ai pu aborder, et avec lesquels j’ai pu échanger quelques paroles, je leur donnais des étoffes ou beaucoup d’autres choses sans qu’ils me donnassent autre chose en échange; mais, je le répète, ils sont naturellement craintifs et timides. Toutefois, quand ils se croient en sûreté, quand la crainte a disparu, alors ils se montrent simples, de bonne foi, et très-généreux dans ce qu’ils ont. Aucun d’eux ne refuse ce qu’il possède à celui qui le lui demande. Bien plus, ils nous invitaient à leur demander. Ils ont pour tous une grande affection,, se plaisent à donner beaucoup pour recevoir peu, se contentent de la moindre bagatelle et même de rien du tout. J’ai défendu qu’on leur donnât des objets d’une trop mince valeur, ou tout à fait insignifiants, comme des fragments de plat, d’assiette, de verre ; ceux qui recevaient des clous, des lanières pensaient être en possession des plus beaux bijoux du monde. Il arriva à l’un des matelots de recevoir pour une lanière autant d’or qu’il en faudrait pour faire trois sous d’or. D’autres hommes de l’équipage dans leurs échanges ont été traités aussi favorablement ; pour de nouveaux blancas, pour quelques écus d’or, ces Indiens donnaient tout ce qu’on voulait. Ainsi, par exemple, une ou deux onces d’or pour une pièce de monnaie d’or qui n’en valait pas la moitié, ou trente à quarante livres de coton dont ces matelots connaissaient déjà la valeur. Enfin pour des fragments d’arc, de vase, de carafe, de poterie réfrigérante, ils donnaient du coton ou de l’or dont ils se chargeaient comme des bêtes de somme. Mais comme ces échanges étaient contraires à l’équité, je les défendis et je donnais gratuitement à ces bons Indiens beaucoup d’objets beaux et agréables que j’avais apportés avec moi, afin de me les attacher plus facilement, qu’ils se fissent chrétiens et qu’ils fussent plus portés à aimer notre roi, notre reine, nos princes, toutes les populations de l’Espagne ; afin de les engager à rechercher, à amasser et à nous livrer les biens dont ils abondent et dont nous manquons totalement.
(...)"

Lettre de Christophe Colomb sur la découverte du Nouveau-Monde
Publiée d'après la rarissime version latine conservée à la Bibliothèque impériale
Traduction Lucien de Rosny 1865


First contact - 1982 - Robin Anderson de Bob Connolly :