vendredi 9 mars 2012

pollissage :

extrait des Actualités de Pour la Science | 19/12/2011 | 
Archéologie 
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Le bracelet d'Asikli Höyük : un incroyable polissage vieux de 10 000 ans


L'étude de la surface d'un bracelet néolithique découvert en Turquie a révélé que les artisans du VIIIe millénaire avant notre ère polissaient l'obsidienne avec une grande technicité.
François Savatier


Roberto Vargiolu/LTDS/Obsidian Use Project

Même s'il ne semble pas symétrique, le profil du fragment de bracelet d'obsidienne d'Aşıklı Höyük résulte d'un façonnage précis : l'angle de son arête est maîtrisé au degré près !

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L'auteur

François Savatier est journaliste à Pour la Science.
En 1995, un fragment de bracelet en obsidienne verte polie à la main datant du VIIIe millénaire avant notre ère était mis au jour en Cappadoce dans le village néolithique d'Asikli Höyük (Aşıklı Höyük) fouillé par l'Université d'Istanbul. C'est le plus ancien bracelet en obsidienne connu à ce jour. L'archéologue Laurence Astruc, de l'Institut français d'études anatoliennes d'Istanbul (CNRS) et le physicien Roberto Vargiolu et ses collègues du Laboratoire de tribologie et de dynamique des systèmes (CNRS, École centrale de Lyon, École nationale d'ingénieurs de St-Étienne) viennent de montrer que la maîtrise des artisans qui ont réalisé et poli ce bracelet valent celle de l'industrie mécanique de pointe actuelle.
Asikli Höyük est un village de paysans au tout début du Néolithique (Néolithique précéramique). Ses premières maisons en briques crues (mélange d'argile, d'eau et de débris végétaux) ont été construites par un groupe humain qui subsistait de la cueillette, mais aussi, dans une certaine mesure, de la culture de plantes domestiquées (céréales et légumes). Les habitants chassaient des espèces sauvages (notamment des chèvres), sur lesquelles ils exerçaient toutefois une forme de contrôle s'apparentant à une protodomestication. Ils utilisaient des armes et des outils dont les parties tranchantes étaient taillées dans l'obsidienne, un verre volcanique extrêmement coupant.
Plus efficace que celui des chasseurs-cueilleurs nomades, ce nouveau mode de subsistance s'est accompagné d'une complexification de la vie sociale. D'où l'apparition dès le VIIIe millénaire d'une classe d'artisans spécialisés dans la réalisation d'objets de prestige dans ce matériau fragile qu'est l'obsidienne.
C'est du moins ce que suggère le fragment de bracelet d'Asikli Höyük, qui révèle la grande habileté de ces artisans. Circulaire, d'un diamètre intérieur d'environ dix centimètres, le bracelet était enrichi d'une arête sur sa face extérieure (voir la figure ci-contre). Son créateur l'a probablement obtenu en quatre étapes successives. D'abord, un bloc contenant le volume occupé par le bracelet, soit 315 centimètres cubes, a été débité. Ensuite, la partie centrale a été évidée, peut-être par forage à l'aide d'un moyen mécanique, telle une chignole à arc. Puis la forme du bracelet a été dégagée par un piquetage prudent pour ne pas briser le matériau. Enfin, la forme obtenue a été polie, d'abord de façon grossière pour faire disparaître les traces de piquetage, puis pour obtenir une surface brillante.
Et avec quelle finesse ! Grâce à des techniques de caractérisation de la rugosité des surfaces, initialement développées pour l'industrie, les chercheurs ont montré qu'aucune aspérité ne dépasse de plus d'un dixième de micromètre. Pareil résultat ne se compare qu'à ceux des meilleurs usinages numériques actuels. La qualité du poli était sans doute appréciée à l'œil nu par ses artisans.
Plus étonnant encore, ce polissage n'a pas empêché l'artisan de maîtriser la forme du bracelet avec une précision inattendue au VIIIe millénaire avant notre ère : la forme de l'arête est symétrique à un degré d'angle près… Cela suggère l'emploi d'une machine à polir, mais il n'en est rien : les orientations croisées des stries résultant du polissage à l'aide d'une série de pierres de moins en moins rugueuses prouvent que le polissage a été réalisé à la main. Les artisans disposaient sûrement de moyens sophistiqués de mesure leur permettant de vérifier au cours du façonnage la convergence vers la forme recherchée. Toutefois, en vrais artisans, ils ont aussi rectifié un défaut ponctuel, sans doute dû au piquetage.
Une telle maîtrise de l'« usinage » (par piquetage) et du polissage est stupéfiante, si l'on songe qu'elle remonte à presque 10 000 ans. Elle suggère l'existence dès le VIIIe millénaire d'une classe d'artisans spécialisés dans le façonnage d'objets de prestige en obsidienne, vouée à satisfaire les besoins d'ostentation des riches membres de la culture d'Asikli Höyük.

Disque diamant pour le polissage à l'eau -ici-