lundi 5 mars 2012

Opfer :

Sacrifice

Je t’ai connue. Mon corps, depuis, par chaque veine,
fleurit en répandant un parfum plus subtil ;
vois, je marche plus droit, d’un pas toujours plus souple,
et pourtant tu ne fais qu’attendre. Qui es-tu ?

Je sens le mouvement qui m’éloigne sans cesse
d’un passé qui de moi s’en va, feuille après feuille.
Seul demeure dressé l’astre de ton sourire
tout autour de ta tête et bientôt de la mienne.

À tout ce qui, au fil de mes années d’enfance,
est encore anonyme et comme un miroir d’eau
je donnerai un nom, grâce à toi, sur l’autel,
qui est tout entouré du feu de tes cheveux
et à qui tes seins font une douce couronne.

Rainer Maria Rilke, Sacrifice, traduction de Dominique Ichl, dans Œuvres poétiques et théâtrales, Pléiade, 1997, p. 364.

Rilke peint par Brasci

Opfer

O wie blüht mein Leib aus jeder Ader
duftender, seitdem ich dich erkenn;
sieh, ich gehe schlanker und gerader,
und du wartest nur-: wer bist du denn?

Sieh: ich fühle, wie ich mich entferne,
wie ich Altes, Blatt um Blatt, verlier.
Nur dein Lächeln steht wie lauter Sterne
über dir und bald auch über mir.

Alles was durch meine Kinderjahre
namenlos noch und wie Wasser glänzt,
will ich nach dir nennen am Altare,
der entzündet ist von deinem Haare
und mit deinen Brüsten leicht bekränzt.


Rainer Maria Rilke, Winter 1905/06, Meudon